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Yvan Schmidt, Président de l’ONG EDEN

C’est d’une émotion que naît bien souvent l’engagement philanthropique. Et l’Afrique ne laisse jamais indifférent. A Cotonou, dans la République du Bénin, l’ONG suisse EDEN aide les orphelins. Touché par les conditions de vie de ces enfants, Grégoire Schmidt s’est personnellement investi dans l’association de son ami et homonyme.

De la Suisse au Bénin, Yvan Schmidt nous emmène à la rencontre d’EDEN.

EDEN, le commencement: l’amitié au cœur d’une même cause

Ce sont mes parents qui ont initié ce magnifique projet d’aide humanitaire. Ils avaient accueilli chez eux en Suisse, Ferdinand, un jeune homme Béninois, lui-même orphelin, qui avait pour rêve d’apporter aux enfants de Cotonou un environnement sécurisé et les meilleures bases possibles pour un avenir plus sûr, plus juste et plus humain. Sensibles à cette noble cause, mes parents avaient alors décidé de se joindre à lui et de l’aider dans ce projet qui les a habités tout le temps de leur retraite.

Le tout s’est développé de manière vraiment modeste, au fil des années. Mes parents qui n’étaient pas des gens fortunés ont cherché des donateurs, organisé des récoltes d’objets pour les vendre sur les marchés aux puces et récolter ainsi - de façon quelque peu «artisanale» - de l’argent. De la construction de l’orphelinat «La Bergerie» à Cotonou en 1999, abritant alors une poignée de gamins avec des aides ponctuelles de parrainages, à l’association EDEN qu’ils ont ensuite créée en 2004, accueillant jusqu’à une centaine d’enfants, le projet a grandi et les activités se sont élargies. Aujourd’hui on compte également une école et un dispensaire.

Par la suite les démarches ont été faites pour être reconnus comme ONG, à Genève et au Bénin, et depuis une quinzaine d’années maintenant, nous avons ce statut dans les deux pays.

Pour ma part, je suis entré dans l’association à sa création. Au décès de mon père, je n’en ai pas pris de suite la présidence; c’est en fait Grégoire Schmidt qui m’a encouragé en ce sens. Nous étions amis mais n’avions jamais vraiment évoqué l’Afrique. Pour Grégoire qui nourrissait un rêve d’aider des enfants, il était inenvisageable de ne pas prendre la relève de mon père. Je l’ai alors challengé en lui disant que je prenais le rôle de président à condition qu’il participe à cette aventure. C’est ainsi qu’il a rejoint l’association puis dans un second temps repris la vice-présidence.

L’ONG EDEN peut compter sur un comité, ou encore sur des membres; parmi eux, parents, privés et entreprises ainsi que tout le parrainage.

 

Les enfants de l’orphelinat

Ils ne sont pas tous des orphelins stricto sensu: il y a des orphelins qui n’ont plus ni père ni mère, et d’autres, ayant été abandonnés, qui n’en sont pas formellement. Il faut savoir qu’au Bénin, lorsque les familles en situation précaires deviennent trop grandes - fait courant dans ce pays qui est l’un des plus pauvres d’Afrique -, les parents peuvent parfois «vendre» leur enfant pour une cinquantaine voire une centaine de francs. L’enfant devient ainsi un véritable esclave corvéable à merci et, même âgé d’à peine sept ou huit ans, travaille jusqu’à quatorze heures par jour. Dans ce cadre, il ne va bien évidemment pas à l’école.

Il y a aussi les enfants dont par exemple, l’un des parents est en prison et l’autre a abandonné le foyer. Dans ce genre de situation aussi, l’enfant retrouvé est alors placé à l’orphelinat par un juge.

Difficile d’imaginer toutes ces situations tant qu’on n’y a pas été confronté sur place. Les amis qui m’ont accompagné au Bénin ont pu découvrir outre une autre culture, également une autre forme de richesse: celle de l’échange et du partage, car pour beaucoup de Béninois qui ne vivent pas dans un cocon, dépendant vraiment les uns des autres et pour qui la seule question du jour est de savoir s’ils vont trouver de quoi nourrir leur famille, c’est une tout autre réalité que la nôtre. Un monde réellement différent. Une fois qu’on y est allé on ne revient pas le même.

 

L’association EDEN et ses activités à Cotonou

L’association se concentre sur le développement de l’orphelinat qui peut accueillir jusqu’à cent enfants, même si désormais nous aimerions plafonner à quatre-vingts enfants au maximum pour une question de capacité tout d’abord.

En mitoyenneté de l’orphelinat il y a le dispensaire, profitant aux orphelins et à la population locale, ainsi que l’école qui accueille non seulement les enfants de l’orphelinat mais également quelque cinq cents enfants de plus venant des villages avoisinants. Il faut bien comprendre que là-bas l’offre de l’enseignement public est largement insuffisante voire inefficiente et bien que de nombreuses écoles se soient créées, elles sont sous des égides privées le plus souvent.

Ne pas mettre les orphelins «sous cloche» et leur permettre d’évoluer parmi d’autres enfants qui ne sont pas dans la même situation qu’eux, au sein d’une seule et même école, est une vraie chance pour eux mais également un challenge pour nous. Il faut trouver le juste équilibre, mettre en place les moyens nécessaires que ce soit pour l’appui scolaire ou l’engagement des collaborateurs, et bien évidemment, tout est toujours une question de budget. De plus, gérer ces démarches depuis la Suisse n’est pas forcément facile, raison pour laquelle nous nous rendons sur place avec Grégoire, au minimum une à deux fois par année.

Le Bénin, terre attachante d’Afrique de l’Ouest

Si le Bénin - dépourvu de toutes ressources naturelles - est l’un des cinq pays les plus pauvres, la gentillesse et la cordialité de ses habitants sont d’une sincérité inégalée. C’est un pays de paysans cultivant ananas et bananes principalement ou encore vivant de la pêche. Cotonou a longtemps été décrite comme la dernière grande ville vraiment africaine. Je me souviens de mon premier voyage là-bas, il y a une vingtaine d’années, la ville n’avait pas de candélabres, elle n’était illuminée que par de petits lumignons qui brûlaient. Malgré une évolution certaine, Cotonou reste une ville sans grandes constructions, typiquement africaine, peu «européanisée». Et si les touristes sont encore assez rares, l’accueil fait à celui qui vient visiter le pays est généreux et chaleureux. C’est un tourisme bien plus authentique que l’on vit ici.

Le contexte actuel y est plutôt paisible. Il n’y a pas de problèmes d’extrémistes comme ceux vécus au Nigéria par exemple ou encore au Burkina Faso d’où l’on a pu voir de brèves incursions. Si le Bénin est le berceau du vaudou, c’est aussi et surtout un pays très croyant où cohabitent parfaitement de nombreuses églises: catholiques, évangéliques ou protestantes. Cette mixité sereine est l’une des grandes forces du pays.

Les Béninois sont agréables, communiquent de manière correcte entre eux et surtout s’entraident. Mes parents avaient déjà pu l’éprouver à l’époque, dans leur désir de réaliser quelque chose dans ce pays: avec peu de moyens mais beaucoup de cœur et la bonne volonté de chacun, ils avaient pu y soulever des montagnes.

Agir avec cœur est certainement ce qui fait toute la différence ici et en venant au Bénin on se rend vite compte de cela. Chez nous, en Suisse ou en Europe, la réussite est plus définie par la notion de pouvoir ou d’argent. Bien évidemment là-bas aussi les gens cherchent à s’enrichir, mais fondamentalement c’est différent car dans un environnement où l’on a besoin les uns des autres pour vivre et où il faut s’entraider, on accorde plus d’importance au relationnel. Cette prise de conscience permet aussi de remettre les choses à leur juste place.

Pouvoir bâtir quelque chose de pérenne est aussi une belle motivation. Malgré les changements politiques, au Bénin il y a une vraie démocratie et des votations, avec bien évidemment tous les problèmes y relatifs, comme dans tous les pays occidentalisés. Ostraciser l’Africain noir n’est point à propos. Comme tout individu il a ses défauts et ses qualités à l’instar de tout un chacun. Changer ce regard critique est important car dans la réalité, lorsqu’on se retrouve immergé dans le pays, on s’aperçoit que l’environnement y est serein et non baigné d’agressivité. C’est très stimulant pour maintenir notre action.

Les projets futurs de l’association

Ce printemps, nous avons mis sur pied un audit avec l’aide un ami franco-béninois qui a passé trois mois au sein de l’orphelinat. Un travail précieux, en immersion sur un laps de temps plus long que celui qui nous est d’ordinaire imparti lors de nos visites sur site. Durant une telle période on peut vraiment se rendre compte de ce qui fonctionne ou dysfonctionne, les domaines où des efforts doivent être concentrés. Cet audit a ouvert la porte aux questions relatives à l’encadrement scolaire, nutritionnel, ou encore aux problèmes liés aux structures en place, à la direction et aux collaborateurs. Il nous a également donné l’opportunité d’analyser la cohérence entre les projets pensés en Suisse versus la manière dont les Béninois les appréhendent et les concrétisent; typiquement, si nous autres allons au bout d’un ouvrage avant d’en recommencer un autre, eux construisent tout en même temps. Exemple caractéristique de différence entre nos deux cultures et où il faut pouvoir accorder nos lectures.

Le plus gros projet repose sur la rénovation des infrastructures. Effectivement, une partie des bâtiments est ancienne et obsolète. Des travaux avaient d’ailleurs déjà débuté dans le bâtiment des filles et aujourd’hui, c’est le dortoir des garçons qui nous préoccupe car le toit fait d’une simple tôle ondulée, rend le bâtiment extrêmement chaud en été (températures estivales dépassant les 40 degrés). L’espace extérieur doit être réorganisé, la cuisine modernisée (cuisine au feu de bois, dans un local fermé avec des conditions de travail très pénibles pour les cuisinières). Les contraintes logistiques sont nombreuses et les règles du gouvernement très strictes; les filles et les garçons ne peuvent pas être dans un même bâtiment par exemple, et ce, même avec une cage d’escaliers indépendante pour les unes et les autres.

Ces principes assez carrés, nous ont contraints à étudier, avec l’aide d’un architecte suisse membre de l’association, un nouveau concept sur les bâtiments existants encore relativement récents et en bon état. Ce projet en devenir est le plus important que nous ayons eu depuis la création de l’association.

Notre priorité est donc de finaliser le concept, définir les budgets, collecter les fonds et intervenir au niveau des travaux en une seule fois, soit démolir, reconstruire et aller au bout du projet pour la fin de l’année 2022 je l’espère. Le tout bien évidemment en maintenant les activités et la vie de l’orphelinat avec ses quatre-vingts enfants sur place. Un véritable challenge!

L’argent, nerf de la guerre où comment aider concrètement

Chacun peut aider comme il souhaite le faire. Nous avons la chance parfois de recevoir de belles sommes de donateurs ponctuels et c’est magnifique mais tous ne peuvent pas donner à cette même échelle. J’aurais donc envie de dire que si vous lisez ces lignes et êtes touchés, prenez contact avec nous tout simplement, via le site internet ou en faisant appel à Grégoire Schmidt ou moi-même pour discuter avec nous et voir comment vous impliquer plus personnellement: devenir membre ou parrain dans un engagement important et prenant, ou encore en faisant des parrainages sans avoir forcément des contacts avec les enfants. Tout dépend du temps à off rir, des moyens en possession de chacun. Et chaque petit don est important. C’est pourquoi nous avons ouvert la porte aux adhésions de membres privés avec une cotisation partant de cinquante francs par année déjà.

Il faut savoir que pour subvenir idéalement aux besoins d’un seul enfant, que ce soit en nourriture, frais scolaires, encadrement, frais médicaux et autres, la somme de cent francs par mois est nécessaire. Soit, pour les quatre-vingts enfants de l’orphelinat, c’est un budget mensuel de 8000 francs qui est déjà nécessaire. Aujourd’hui, si nous sommes chanceux de pouvoir compter sur un certain nombre de membres et de parrains, nous n’avons pas encore cette somme à disposition, et il nous faut donc réduire certaines charges.

A ceux qui pensent que nous avons la chance d’être nés là où nous sommes nés, je répondrais que «Nous avons justement une responsabilité du fait d’être nés là où nous sommes nés». Si cette réalité ne nous appartient effectivement pas, elle fait néanmoins partie des grandes interrogations de l’existence et elle ne peut nous laisser indifférents.

En contrepartie on peut venir en aide à des enfants, leur offrir un avenir. Je pense que c’est l’une des plus belles choses que l’on puisse faire et qui vaille la peine qu’on y mette ne serait-ce même qu’un tout petit peu de soi.

Et si le besoin est réellement important, la finalité est elle aussi porteuse d’un potentiel extraordinaire. Il suffit pour cela de regarder ces enfants, leurs sourires, ou comment ils vous serrent dans leurs bras quand vous allez là-bas. C’est tout dire: même eux, prennent la vraie mesure de cette chance de pouvoir grandir dans un environnement qui les protège, les nourrit, les éduque, les instruit et qui leur donne de l’amour également.

« Pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village. »

Proverbe africain