Portrait / 7 minutes de lecture

RINALDO MARASCO

SELVA. Si ce mot désigne la forêt tropicale, c’est aussi le nom choisi par Rinaldo Marasco, pour son exposition itinérante. Cet artiste pluriel avait déjà fait de l’image, du son, du verbe ou encore du jeu d’acteur, ses métiers. Aujourd’hui, c’est avec ses dessins à l’encre noire, qu’il nous embarque dans un voyage enchanté au cœur de l’Amazonie et de ses coutumes ancestrales.

« La vie n’est pas un long fleuve tranquille. »

C’est par cette phrase que Rinaldo Marasco, la cinquantaine toujours jeune et décontractée, résume son parcours tracé hors des sentiers battus. Des études en langues modernes au collège de St-Maurice, dans un système éducatif renommé pour être dur, et les premières réflexions sur ce qu’il veut ou ne veut pas devenir. Si son père l’imagine ingénieur nucléaire, lui se rêve architecte, acteur ou encore avocat: «Avocat, pour ce que je voyais dans les films, côté comédien en fait, mais j’ai vite réalisé que passer sa vie dans les problèmes des autres ce n’était pas fait pour moi». C’est finalement l’Art Center College of Design à Vevey - une école américaine de design en communication visuelle - qui le séduira: option cinéma, au plus proche de son propre rêve. «Je suis fils de parents immigrés italiens qui ont trimé avec l’espoir que leurs enfants réaliseraient les rêves qu’eux-mêmes n’avaient pu assouvir. Moi je me voyais assez bien dans un parcours qui me mènerait de la publicité au court métrage, jusqu’au jeu d’acteur. Ça m’attirait depuis toujours même si je viens d’un milieu populaire, sans aucune culture cinématographique.» 

Du rêve à l’audace.

Rinaldo passera les dix années suivantes dans la communication visuelle, l’événementiel et la publicité, travaillant pour des marques internationales et réalisant ses premiers clips et publicités. «Je m’épanouissais clairement dans la démarche artistique, j’aimais développer les concepts plus que la mise en forme.» En précurseur de la musique électronique qui s’invite à la montagne, il ouvre également à cette époque-là avec des amis d’enfance, une boîte de nuit à Verbier, «Le Taratata». Une vie à cent à l’heure, toujours à flux tendu. Un peu trop peut-être. C’est lors d’un voyage en Thaïlande - ses premières vraies vacances en dix ans - qu’il se force à se reposer et à faire le point sur sa vie. «Le milieu de la pub m’avait fait entrer dans la vie professionnelle et permis de bien vivre jusque-là, mais mon regard sur ce monde où tout pousse à la consommation, était devenu plus critique. Le côté manipulateur de la pub me gênait. Et puis, je nourrissais depuis toujours le rêve de devenir comédien et je ne voulais pas attendre d’avoir cinquante ans pour le réaliser.»

En 2003, ses trente-cinq ans en bandoulière, il s’inscrit aux stages d’été des Cours Florent à Paris, en cinéma et théâtre, pour voir si «ce n’était pas juste un retour de flammes d’adolescent». Il restera sept ans dans la ville lumière. De Lausanne à Paris, le plan initial se mettait en place. Plus lentement que prévu peut-être, mais il réalise et joue alors dans plusieurs courts-métrages et pièces de théâtre, tout en gérant en parallèle des mandats de communication visuelle.

 

Virage à 360° jusqu’aux forêts amazoniennes.

En 2011, la naissance de son fils Hugo change tout. «J’ai pris conscience assez violemment du bagage émotionnel que je trimballais avec moi et que je ne voulais surtout pas transmettre à mon fils. Il me fallait combattre mes démons, mes peurs, mes frustrations, ma colère. C’est à ce moment-là que j’ai fait la découverte de la médecine traditionnelle d’Amazonie. Et pour moi ce n’était nullement dû au hasard.» Très loin du monde de la communication ou de la publicité qui l’a vu naître, Rinaldo est attiré vers ce savoir ancestral qui soigne par la purification, et sent que c’est exactement ce dont il a besoin. Comme pour tout ce qu’il entreprend, il s’investit alors avec passion, assiste à plusieurs cérémonies en Suisse et décide de réaliser un documentaire sur le sujet en s’immergeant à l’essence même de ce savoir: au plus profond de la jungle amazonienne et de lui-même.

«Les Chants de la Forêt».

Il quitte le confort helvétique en janvier 2015, direction le Pérou, à la rencontre de ces guérisseurs et de leur médecine ancestrale. «Les rituels des chamans d’Amazonie, prodiguent un nettoyage émotionnel, psychologique et physique. Ils soignent les blessures autour desquelles se construit la personnalité de chacun. C’est un savoir qui ajuste les problèmes. Le chaman identifie ce qui ne va pas et ensuite, c’est l’énergie même des arbres ou des plantes qui lui montre laquelle utiliser pour soigner le mal de cette personne. A travers des chants et grâce à l’intention, c’est une véritable purge émotionnelle qui s’opère. Un réalignement. Quand l’Homme prend conscience de la puissance de ses pensées et de ses croyances, il se sublime et arrive à faire des choses incroyables!»

Durant les cinq années suivantes, Rinaldo retournera à de multiples reprises au Pérou pour son «nettoyage» personnel et pour continuer à explorer ce monde fascinant et déroutant qui dépasse bien souvent l’entendement de nos croyances occidentales. De cet incroyable voyage initiatique naîtra un documentaire magnifique intitulé «Les Chants de la Forêt».

 

SELVA. Une jungle au feutre noir.

«Lors des rituels chamaniques, les sons, les odeurs, la vue et le toucher changent complètement. L’altération des sens porte un enseignement et permet d’accéder à certaines visions. C’est un peu comme un voyage dans une autre dimension. La bonne formulation de cet état un peu second est en fait un état de conscience affinée.» C’est après l’une de ces cérémonies, que Rinaldo, guidé par une vision, décide de dessiner ce qu’il avait vu. Il reproduit alors une plante qui n’est autre que la fleur de chacruna, l’une des plantes utilisées pour confectionner ce breuvage qui ouvrent les visions. De cette expérience profonde, il se prend au jeu du dessin et s’y applique tous les jours depuis. «Dessiner m’apprend à être plus alerte, plus à l’écoute, antagoniste de la raison. Cet art me permet de m’évader. Je n’ai aucune prétention, ni souci de légitimité. Je ne veux pas me brimer par la peur de plaire et le regard des autres n’est plus un frein.»

Pour créer, l’artiste se met dans une sorte de cérémonial, dans un état de détente. Il se pose, allume un «mapacho» (tabac sacré en provenance d’Amérique latine) et au rythme des chants chamans, laisse venir les choses à lui, sans planifier ce qui naîtra de sa main. Au feutre noir, parfois avec une touche de couleur, se dessine alors tout un univers végétal. «J’avais envie que ceux qui se retrouveraient face à mes dessins puissent vivre un peu de l’expérience que j’avais vécue.» Ressentir l’énergie d’un lieu, s’éveiller aux sensations et aux émotions, se laisser porter. Pour Rinaldo Marasco, l’art se traduit par cette expérience-là. «On vit une époque où on ne prend plus le temps de rien: tout doit aller très vite, être conforme au dictat ambiant et on s’appauvrit du potentiel ou de la richesse qui est en nous. On doit absolument apprendre ou réapprendre à contempler, se poser, sentir et ressentir les choses, regarder la vie qui est juste devant nous. Ces dessins sont pour moi une manière de proposer un moment d’arrêt, de décrocher et de voyager. Le noir-blanc d’ailleurs, permet de confondre un peu la vue et pousse les gens à véritablement entrer au cœur même du dessin. Il n’y pas grand-chose à comprendre, chacun peut y voir ce qu’il veut. C’est aussi l’un des enseignements de cette médecine: quand on réfléchit trop, on se limite et il ne reste que peu de place pour la surprise et l’émerveillement.»

« Vos yeux sont des fenêtres, rien d’autre. Des fenêtres.
L’oeil véritable est à l’intérieur. Entrez en vous-même, tout est là. »

Luis Ansa, La Nuit des Chamans  

Chaque œuvre de Rinaldo Marasco est une ode à la beauté de la «Pachamama», la Terre-Mère, qui invite celui qui s’y plonge à pénétrer son monde au-delà de la première apparence, dense et presque impénétrable, et à trouver ses points de repères entre les lignes.

Si son exposition SELVA a déjà traversé le Café Agnès à Gland en 2021 et poursuivi son voyage au Millennium Center de Crissier au début de cette année, l’artiste souhaite étoffer son travail sur des grands formats et faire perdurer l’itinérance de son exposition.

« S’il y a un art,
il est l’expression de l’amour. »

Luis Ansa