Portrait / 7 minutes de lecture

PIERRE CREPAUD

Originaire de la Drôme, il a fait ses classes entre le sud de la France, les bords du lac Léman, ou encore Courchevel où l’ambiance générale de montagne a été un vrai déclic dans ce qui serait plus tard, sa cuisine signature. Arrivé à Crans-Montana à 25 ans, pour une saison d’hiver, il n’en est plus reparti. Le «Green Chef» a fait des montagnes valaisannes, sa maison. Si son talent et sa passion l’ont amené au firmament de l’art culinaire - décrochant entre autres distinctions, sa première étoile au guide Michelin en 2015 et un 17/20 au Gault et Millau avec le restaurant LeMontBlanc (LeCrans Hotel et Spa à Crans-Montana) -, il a aujourd’hui, au côté de sa compagne Delphine, réinventé une haute gastronomie qui lui convient bien, au plus proche de ses hôtes et de cette nature qu’il affectionne. A l’image de sa cuisine, généreuse, surprenante, authentique et vagabonde, le chef Pierre Crepaud nous ouvre les portes de son «uni-vert».

Vous avez fait le pari plutôt osé de déposer votre étoile et de quitter votre cuisine du restaurant LeMontBlanc. De plus en plus de grands chefs font de même. Victimes de leur succès? De la pression des guides gastronomiques ou d’une certaine clientèle qui s’improvise en tant que tels? Les bouleversements de ces deux dernières années marquent peut-être également un tournant dans la profession. La haute gastronomie doit-elle se réinventer?

Cette pression qui entoure notre métier n’est pas toujours facile à gérer. Certains chefs abandonnent effectivement la haute gastronomie pour un retour à une cuisine plutôt bistronomique. Pour ma part, au bout de onze ans dans la cuisine gastronomique du restaurant LeMontBlanc, j’avais le sentiment d’avoir un peu accompli ma mission. Je me sentais déjà privilégié d’être entré dans le cercle fermé des chefs étoilés et je n’avais pas vraiment la prétention de faire la course à une deuxième étoile. Si je suis un amoureux de mon métier, je suis aussi un amoureux de la vie en général et j’aspirais à trouver un juste équilibre entre les deux.

La pandémie qui a fait son entrée à ce moment-là, m’a poussé à m’interroger sur l’avenir de la haute gastronomie, avec un besoin de revenir à l’essentiel, de réinventer peut-être une autre forme de gastronomie, de renouer contact avec une clientèle différente ou de manière différente, à un moment où les restaurants fermaient leurs portes.

J’avais également un réel désir de me réconcilier avec l’essence même de mon métier. A part les créations, les dressages lors du service, je ne touchais plus vraiment la matière première. Dans ces grandes brigades de cuisine gastronomique, être chef ce n’est pas seulement inventer des plats mais c’est aussi et surtout gérer une équipe (trouver du personnel compétent et parvenir à le fidéliser est une tâche vraiment ardue). Si la pression de prendre une telle décision était forte, dans ce contexte de crise du début 2020, le moment était sûrement idéal.

D’ailleurs, avec tout ce qui se passe autour de nous, est-ce que les gourmets voudront se cantonner aux «cérémonials» des établissements étoilés? Je pense pour ma part, que la haute gastronomie a également sa place hors des grands restaurants, ouvrant la porte à une clientèle qui ne fréquenterait peut-être pas ces établissements très cadrés ou plus guindés. La génération actuelle tend un peu plus vers une cuisine de terroir, de contact et de proximité.

Vous êtes aujourd’hui «Chef à domicile» mais pas seulement. De la vente de produits d’épicerie fine que vous confectionnez, une chambre d’hôtes dans les Mayens de Balavaux, la Guérite 1814 à Saillon... Vous courez les projets! Parlez-nous un peu de vos activités d’aujourd’hui.

En quittant le restaurant LeMontBlanc, il n’était pas question de changer de métier. Ma fibre de cuisinier était toujours intacte. Reprendre un restaurant était l’une de mes options, mais je savais que la problématique de la gestion du personnel pèserait toujours aussi lourd, voire plus encore dans le contexte de ce début de pandémie. Les restaurants fermés, les demandes de ma clientèle pour venir cuisiner chez eux ont commencé à affluer. Le concept de «Chef à domicile» a vite pris de l’ampleur et aujourd’hui, c’est quasiment une activité à temps complet.

Le travail en amont est considérable et je suis désormais seul de la création des menus gastronomiques jusqu’en cuisine. Toutes les préparations (beaucoup de cuisson à basse température, sous vide) se font dans mon atelier de cuisine à la Tsoumaz. Une fois sur place, reste le travail de «finition»: poêler les viandes, assembler et dresser les plats du menu, alors que ma compagne Delphine s’occupe de la décoration de table, des accords mets-vins et du service.

Cette expérience singulière, l’est des deux côtés du tableau: nos hôtes nous accordent leur confiance en nous ouvrant, le temps d’un repas, les portes de leur maison, et pour nous c’est une découverte des lieux et de leur cuisine surtout, qu’il nous faut apprivoiser. Dans ce concept du «restaurant qui s’invite chez vous», la proximité avec le client crée un partage et une interaction toute privilégiée. La soirée se termine bien souvent autour d’un verre, dans un échange différent et hors de l’ordinaire.

« La cuisine et moi, c’est une histoire d’amour. Mon challenge est de créer chez mes convives des émotions, de leur faire découvrir mon monde au gré d’un voyage culinaire. »

Pierre Crepaud  

 

L’histoire de la Guérite 1814 à Saillon, c’est celle d’une rencontre (avec Nicolas Cheseaux, de la cave Corbassière) et d’un coup de cœur avec le lieu. Je l’avais remarquée en redescendant de la via Ferrata de Saillon. Elle était là, au milieu des vignes, dans ce panorama époustouflant et cette situation idéale surplombant la plaine du Rhône. L’endroit me plaisait et correspondait à ce dont j’avais longtemps rêvé ou imaginé: régaler des convives dans un lieu qui me ressemble. Il y avait là, un vrai potentiel!

Du printemps à l’automne, la cuisine gastronomique se réinvente ici, dans cette petite maison de vignoble fonctionnant sans électricité, avec juste des panneaux solaires. Un diamant brut en plein air, complètement dans mon élément et en adéquation avec ma cuisine signature issue du terroir. Les menus qui sortent de ce lieu simple, étonnent toujours les convives.

Dans ce concept qui allie haute gastronomie, nature et convivialité, les clients ayant réservé leur table (maximum 20 couverts) se retrouvent dans le vieux Bourg de Saillon où Nicolas vient les accueillir. Une petite balade de vingt minutes à travers les vignes, une halte au milieu pour un apéritif et une présentation des vins de la cave Corbassière, et on atteint la Guérite. Les convives font connaissance dans la montée et l’atmosphère devient très vite amicale. Les tables sont dressées sur la terrasse et je cuisine à l’intérieur, fenêtres ouvertes. C’est un peu «comme à la maison» et la clientèle apprécie ce mélange de proximité et de simplicité. L’année dernière nous avons affiché complet tout l’été, et les réservations sont déjà en cours pour cette 2ème édition.

Finalement, nos activités se déclinent au fil des saisons: chef à domicile plutôt en hiver et à l’arrivée des beaux jours, à la Guérite 1814. Dans ces deux concepts de la haute gastronomie revisitée, la clientèle sort du cadre formel du grand restaurant. C’est différent, novateur et ça plait énormément.

 

Vous semblez ne jamais être à court d’idées. Un mot sur vos projets futurs?

Avec Arnaud Rossier géographe et pilote chez flySUN, nous allons proposer un programme «Gastronomie de Haut Vol». Une balade didactique en hélico avec explications sur les glaciers et montagnes environnantes, et une dépose pour une expérience gastronomique à plus de 3000 mètres, dans un décor extraordinaire! Je travaille également sur la création d’un café torréfié en Valais, ou encore d’une huile d’olive espagnole en collaboration avec un ami sportif catalan. Des idées, j’en ai toujours mille en tête et c’est vrai qu’il est parfois compliqué pour mes proches de me suivre. Je suis un hyperactif! Sans le sport d’ailleurs, je ne pourrais pas tenir; il me canalise.

Vous avez fait de la montagne votre terrain de jeu préféré, entre course à pied, trail, balade, vtt ou ski rando. La nature, fait partie de votre mode de vie, tout comme le «vert» qui vous définit.

Les sports de montagne que je pratique sont calqués sur les saisons, tout comme ma cuisine. J’invente mes menus inspirés de mes découvertes en balade ou durant mes activités d’endurance. Mon cerveau se met alors très vite en mode créatif. Pouvoir se perdre sur les chemins de montagne pour trouver l’inspiration, à la découverte d’une plante, d’une fleur, et non pas à mon bureau devant une feuille blanche, et faire cohabiter ainsi mes deux passions, c’est une chance!

Quant au vert, c’est ma marque de fabrique, la couleur de l’espoir, la nature. Elle correspond à ma façon de vivre et de cuisiner. Elle me démarque d’une certaine façon et me définit bien. On m’appelle le «Green Chef» pour mes vestes de cuisine et mes converses vertes que je porte depuis toujours. Dans le monde de la gastronomie et la concurrence qui y règne, il y a beaucoup de très bons chefs et la cuisine à elle seule ne suffit plus forcément. La clientèle accorde aussi de l’importance au charisme, à la personnalité, à la signature du chef.

Connu pour votre générosité, en mot de la «faim», une astuce de cuisinier que vous seriez prêt à partager avec nos lecteurs?

Du moment qu’on a du plaisir à faire à manger et que l’on met de l’amour dans ses plats, alors on ne peut pas se tromper. Avec des bons produits, de la générosité et du cœur, on peut faire des merveilles!

« Je ne propose pas un menu mais une histoire. Je sers mon âme sur une assiette. J’instaure une conversation.
Je cherche à réveiller quelque chose en vous, vos souvenirs, et si j’y arrive alors... j’ai atteint mon but. »

Pierre Crepaud