Ni ascétique, ni chaotique
A l’heure de la rentrée, après avoir fait le tri dans les cartables, gardé le réutilisable et jeté tout le reste (selon la chanson « les cahiers au feu et le prof au milieu), les enfants ont déserté la maison et on se retrouve chez nous à « élaguer » les armoires des bikinis, shorts, tongs et autres grains de sable… souvenirs de l’été qui s’est achevé.
En ce début d’automne, la vie a repris son cours. Les routines s’installent à nouveau. Les soirées se rallongent de quelques minutes chaque jour, nous rapprochant de la mi-saison. La fenêtre est encore ouverte, les derniers rayons de soleil caressent la peau, et une température un peu plus fraîche à l'intérieur nous donnerait presque envie de ressortir nos petites laines et les couvertures douces au salon…
Ces envies de cocooning qui nous effleurent déjà, nous ramènent à notre intérieur. La tendance du moment serait plutôt à l’épuration. La japonaise Marie Kondo – prêtresse du rangement – nous explique comment vider ce qui encombre notre maison pour mieux la remplir de joie. Les Danois, eux, ont le hygge, les Suédois, le misyg. Tous deux visant à créer un espace bien à soi, un nid qui constituerait un « refuge physique et émotionnel », un certain art du « vivre mieux avec moins ». L’intérieur est épuré, on oublie les choses inutiles, on enlève les éléments qui encombrent l’espace, et donc l’esprit.
S’il est vrai que désencombrer un appartement peut le rendre plus attrayant et agréable à vivre, jusqu’où faut-il pousser «le vide» ? Ne peut-on être heureux que dans une maison impeccable ? Et que penser alors de la naturelle désinvolture de notre progéniture, qui elle ne se soucie guère de l’ordre des choses ?
Qu’est-ce qui nous pousse, à vrai dire, nous autres adultes, à vouloir que tout soit parfaitement rangé ? Il suffit de pousser la porte de la chambre de nos enfants : bien souvent le désordre y règne en maître ! Comment peuvent-ils se sentir bien au milieu de ce tohu-bohu ?
« Si la vue d'un bureau encombré évoque un esprit encombré,
alors que penser de celle d'un bureau vide ? »
Nous avons beau avoir testé quasiment toute la gamme des rangements suédois aux noms improbables et imprononçables, sans toutefois, que rien n’ait changé dans ce joyeux chaos. La réponse cinglante – et pourtant empreinte d’une certaine sagesse – de notre progéniture face à nos soupirs désespérés : « Maman, toi tu as peut-être besoin que tout soit rangé, mais nous, non. »
Réponse signifiant une certaine paresse ? Ou une incapacité à faire régner l’ordre ? Ou peut-être même, un cerveau pas encore complètement « abouti » et non doté de la fonction « planification et rangement » ? Oui, bien souvent, nous autres parents pensons que le bazar ambiant de la chambre de nos enfants fait la décoration intérieure de leurs pensées. Et que ceci est donc également valable pour l’encombrement de notre maison.
Et si nous envisagions les choses sous un angle différent ?
Dans une certaine mesure, trier de temps en temps et se délester des bibelots inutiles que l’on ne regarde même plus, pourquoi pas ? Mais de là à culpabiliser face à toutes ces tendances d’épuration à l’extrême, alors qu’on a « caché » au grenier ou à la cave, quelques cartons de vieux souvenirs, qu’on aime rouvrir et d’où l’on ressort de temps à autre une merveille oubliée en se réjouissant de ne pas avoir suivi les gourous du dépouillement total… (concept appliqué à la perfection avec nos vêtements que l’on ne porte plus depuis longtemps mais qu’on affectionne tant, dont on peine à se débarrasser parce que… qui sait ? La mode va, vient et revient n’est-ce pas ?)
Une autre « excuse » à ne pas vouloir suivre absolument la tendance, serait la théorie de la créativité, encouragée d’une certaine façon par un certain désordre intérieur, qui nourrirait l’imagination créatrice.
Selon les auteurs du livre « Un peu de désordre = beaucoup de profit(s) », écrit par des spécialistes du management, « Dérange ta chambre ! » pourrait être la nouvelle injonction parentale.
Dans une enquête menée dans des entreprises hyperordonnées, chez des particuliers «bordéliques» ou dans le capharnaüm des bureaux de prix Nobel, les auteurs nous révèlent les ravages d’une organisation excessive. Moins de stress et de temps perdu, plus de connexions entre nos champs de réflexion : le désordre serait productif… jusqu’à un certain point. (Là, vous entendez vous aussi, la petite voix angélique de votre ado soufflant d’un air candide : « Tu vois maman… »)
D’autres personnalités tout comme Albert Einstein, Thomas Edison, Mark Twain et même Steve Jobs, ont fait d’un certain chaos leur carburant, prospérant dans des espaces de travail créatifs jonchés de notes éparpillées, de piles de fouillis et de repères d’inspiration vraiment aléatoires.
Selon une étude scientifique, « les lieux un peu chaotiques semblent libérer des traditions, ce qui peut conduire à des réflexions intéressantes. Alors que trop d’ordre conforterait plutôt la pensée conventionnelle et sage ». Parfois un peu de « désorganisation » a du bon. On apprend à improviser.
Ni trop ascetique, ni trop chaotique.
Oui, suivre la tendance du moment, en se libérant du superflu mental et matériel, c’est bien. Mais s’y contraindre absolument, n’est pas une fin en soi. Ca n’est peut-être pas fait pour tout le monde. Celui qui est ordonné par nature ne saura quant à lui s’encombrer, sous prétexte d’activer sa créativité.
Alors, certainement comme l’ont fait avant nous, les mères des grands intellectuels, on ferme les yeux et la porte de « l’espace créatif de nos chères têtes blondes » ;-)
Trouver le juste milieu qui sied à chacun, voilà la clé du « bien être chez soi ».
«L'ordre est sans aucun doute le plaisir de la raison, mais le désordre, pour certains, celui de l'imagination.»