A ceux qui me demandent « ce que ça fait de descendre de cette famille », je réponds que c’est de la fierté mais aussi une grande responsabilité. C’est un véritable challenge que de faire perdurer une entreprise qui a 130 ans. Prendre les bonnes décisions et savoir bien s’entourer fait également partie de l’équation, et nous avons la chance d’avoir en la personne de Fabrice Haenni, un directeur jeune, qui va de l’avant. Faire appel à quelqu’un de l’extérieur était certainement un choix nécessaire au niveau opérationnel. Personnellement je ne vois que du positif au rajeunissement décisionnel, il faut savoir vivre avec son temps.
GS: S’il fallait raconter un souvenir ou une anecdote de la vie à la Distillerie?
JM: L’apprentissage de la fabrication des liqueurs avec mon papa : à l’aide du fameux petit livre noir contenant toutes les recettes secrètes (un joli patrimoine familial d’ailleurs avec l’écriture manuscrite des différentes générations). Lire, suivre le processus et apprendre à réaliser la recette sous contrôle durant quelques années eût été suffisant, mais mon père restait là, il voulait absolument tout contrôler. Il a vraiment fallu lutter avec Bruno pour qu’il admette de nous laisser faire. Mais du coup, il nous a aussi inculqué ce souci de la précision, cette implication et la disponibilité totale auprès de nos clients, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Si lors d’événements comme le Carnaval, les spiritueux venaient à manquer, on s’habillait, on chargeait le camion et on partait livrer.
BV: Ah ça! Les anecdotes ne manquent pas : enfant, avec mon frère et nos cousins, la distillerie était notre terrain de jeu avec le lot de bêtises qui allaient avec! On ne peut pas tout raconter mais je me souviens m’être bien fait « tirer les oreilles » par mon grand-père. Quant à Loulou, Julien a tout juste! Il voulait toujours être là! A la réception des millions de poires William, Loulou touchait les fruits, enlevait les poires pourries et avait toujours une petite remarque en me voyant faire : la poire était « trop jaune » ou « pas assez ». C’est vrai qu’il avait de la peine à nous « passer la main ». Et puis il y a aussi ces souvenirs de récoltes, où à dix heures du soir, alors qu’on n’avait pas encore terminé la journée, on voyait arriver Madame Morand avec des sandwichs, gâteaux et thermos, pour nous ravitailler.
JM: On parle trop rarement des femmes de la famille mais effectivement, toutes générations confondues, elles ont toujours joué un rôle. Un rôle dans l’ombre mais ô combien important, sortes d’ambassadrices qui aidaient à la production ou à la vente, qui allaient voir les clients, ou encore qui très souvent « arrondissaient » les angles…
GS: Et dans 20 ans? Comment imaginez-vous la distillerie?
JM: La 5ème génération sera peut-être déjà en train de passer la main vu l’évolution globale de la société. J’espère qu’on transformera toujours des produits agricoles valaisans, des plantes pour les liqueurs, les salaisons et les tisanes, des fruits pour les spiritueux, les sirops et les recettes de confiture de ma maman. On vendra peut-être moins d’alcool tout en buvant mieux. Si l’on reste aussi innovant tout en respectant la tradition et qu’on garde cette qualité et cette authenticité, je pense que ça devrait perdurer. Il sera également vital de (re)développer l’exportation. En particulier dans les alpes italiennes et françaises (et en Suisse alémanique), avec une vraie légitimité, une reconnaissance du nom, de nos marques et de la qualité des produits. Et puis, dans 20 ans on aura certainement déjà amélioré nos sirops, avec moins de sucre ou recommencé à faire de la limonade. Qui sait?
BV: Je ne suis pas un visionnaire et même si la distillation reste aux yeux des gens un peu magique, je la vois continuer dans son dynamisme, orientée dans la gastronomie et les boissons, proposant surtout de bons produits. Je souhaite qu’elle reste dans cette direction-là. Il y aura certainement aussi un passage obligé vers le naturel, le bio ; le mouvement actuel tend clairement vers du moins sucré, moins coloré etc… Si on prend les bonnes décisions au bon moment pour suivre la tendance des consommateurs, qu’on garde la proximité et les bons produits, alors il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas perdurer...