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DISTILLERIE LOUIS MORAND & CIE SA à MARTIGNY

Chez les « MORAND », on vit et respire la distillerie…

Autour du célèbre label valaisan, il y a une histoire de famille de plus de 130 ans. Une fois n’est pas coutume : ce n’est pas la porte de la distillerie que nous avons poussée mais celle des souvenirs. Avec Julien Morand et Bruno Vocat – deux des représentants de cette 4ème génération qui font vivre la marque – nous avons évoqué leur attachement à Verbier et leurs rôles dans la maison Morand.

Grégoire Schmidt: On se retrouve ici à Verbier, un peu comme au bon vieux temps. Verbier, ça représente quoi dans vos souvenirs?

Julien Morand: Les vacances d’été de mon enfance dans le chalet familial où j’ai fait mes premiers pas en juillet 1972, les promenades avec mes parents à la Marlène, les orages à la Croix de Cœur, la chasse aux escargots sous la pluie, mon premier vélo de course et les épopées qui vont avec. Puis adolescent, on profitait d’être à Verbier tous les weekends d’hiver pour s’échapper à ski avec les copains, faire du bob ou du hockey et pour entrer en douce au Tara. Aujourd’hui, avec ma femme et mes enfants, on reconstruit ces mêmes souvenirs de vacances, entre ski, vtt, promenades en montagne et golf également.

Bruno Vocat: Mon attachement à Verbier est lié à l’hiver et au ski. Dans les années 60, mes parents y avait acheté un appartement, sous Médran à la Haute Route. A cette époque, il y avait ce petit téléski (le Vert) qui passait devant notre immeuble. On en a donc bien profité et le ski est devenu une passion folle! J’en ai d’ailleurs fait mon premier métier, comme prof de ski puis comme guide. Mes étés à Verbier, quant à eux, n’ont fait partie de ma vie que lorsque je m’y suis domicilié avec ma femme, il y a une quarantaine d’années.

GS: Quel est le chemin qui vous a conduit l’un et l’autre à la Distillerie?

JM: Pas un chemin tout droit, c’est certain! Une matu socio-économique et des études de droit pour commencer. Le décès soudain du bras droit de mon père l’a incité à me demander de venir rapidement à la Distillerie prendre en main les démarches de la certification ISO 9000 qui venaient de commencer. Ça a marqué mes débuts officiels dans l’entreprise familiale. Ayant toujours accompagné mon papa et grandi au milieu des plantes et des fruits que l’on distillait, je n’entrais pas en terre inconnue.
En 2000, je suis parti parfaire mon allemand avec les représentants de notre agent en Allemagne, expérience ponctuée par une formation spécifique sur la fermentation et la distillation à la faculté de biotechnologie de Berlin. Puis l’Australie avec Tatjana - ma femme - pour y suivre un cursus universitaire postgrade en marketing, management et innovation. Mais pressé par mon père de ne pas rester éloigné de la distillerie trop longtemps, nous sommes rentrés en Suisse un an plus tard. A mon retour, j’avais alors l’espoir de jouer un rôle clé dans l’entreprise. La distillerie était une passion ancrée depuis longtemps mais comme dans beaucoup d’affaires familiales où les protagonistes sont nombreux, ce n’était pas si simple: j’étais de loin le plus jeune de ma fratrie et de celle de mes cousins. Un consultant a alors été engagé, la partie commerciale m’a été confiée et à Bruno la production. A la retraite de mon père, un directeur général « hors sol » a été engagé et les responsabilités des membres de la famille encore un peu plus diluées.

« Difficile dans une entreprise familiale vieille de plus de 100 ans, de respecter et de suivre la ligne et la tradition tout en innovant sans trop ébranler la confiance et les habitudes du client. »

Aujourd’hui je suis formellement administrateur et « brand ambassador ». Je fais notamment autorité sur les produits et je m’occupe des aspects légaux et de la représentation active dans les associations professionnelles au niveau cantonal et national.

BV: Pour ma part, j’étais prof de ski, guide de montagne, et c’est un genou en mauvais état qui m’a poussé à frapper à la porte de l’entreprise familiale pour ma reconversion. Une chance! J’y ai débuté comme un « apprenti » caviste, au bas de l’échelle mais accompagné par des gens passionnés, brillants, qui m’ont aidé à faire mes premières armes et avec qui j’ai adoré apprendre et travailler. Au rythme de six mois par an tout d’abord - non pas par manque d'intérêt pour la maison (puisque j’y suis toujours après plus de 25 ans), mais plus par attachement profond à la montagne. Si j’ai également suivi quelques cours sur les spiritueux (Changins), c’est surtout sur le terrain que j’ai appris mon métier. Peu à l’aise pour la vente, je n’aurais pas pu être commercial. Par contre je me sentais à ma place dans la production et dans la fabrication des liqueurs. C'est Louis Morand, mon oncle (dit Loulou), qui m'a transmis son savoir. Puis assez naturellement je suis devenu responsable et directeur de production de la maison et de nos domaines agricoles (j’ai gravi les échelons avec bonheur même si les titres ne m'ont jamais tellement impressionné.)

« Être responsable de production, c'est parfois ingrat: quand tout va bien, ce n'est jamais grâce à toi. Quand c'est mauvais, c'est toujours de ta faute. Il faut savoir faire la part des choses. »

A ceux qui me demandent « ce que ça fait de descendre de cette famille », je réponds que c’est de la fierté mais aussi une grande responsabilité. C’est un véritable challenge que de faire perdurer une entreprise qui a 130 ans. Prendre les bonnes décisions et savoir bien s’entourer fait également partie de l’équation, et nous avons la chance d’avoir en la personne de Fabrice Haenni, un directeur jeune, qui va de l’avant. Faire appel à quelqu’un de l’extérieur était certainement un choix nécessaire au niveau opérationnel. Personnellement je ne vois que du positif au rajeunissement décisionnel, il faut savoir vivre avec son temps.

GS: S’il fallait raconter un souvenir ou une anecdote de la vie à la Distillerie?

JM: L’apprentissage de la fabrication des liqueurs avec mon papa : à l’aide du fameux petit livre noir contenant toutes les recettes secrètes (un joli patrimoine familial d’ailleurs avec l’écriture manuscrite des différentes générations). Lire, suivre le processus et apprendre à réaliser la recette sous contrôle durant quelques années eût été suffisant, mais mon père restait là, il voulait absolument tout contrôler. Il a vraiment fallu lutter avec Bruno pour qu’il admette de nous laisser faire. Mais du coup, il nous a aussi inculqué ce souci de la précision, cette implication et la disponibilité totale auprès de nos clients, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Si lors d’événements comme le Carnaval, les spiritueux venaient à manquer, on s’habillait, on chargeait le camion et on partait livrer.

BV: Ah ça! Les anecdotes ne manquent pas : enfant, avec mon frère et nos cousins, la distillerie était notre terrain de jeu avec le lot de bêtises qui allaient avec! On ne peut pas tout raconter mais je me souviens m’être bien fait « tirer les oreilles » par mon grand-père. Quant à Loulou, Julien a tout juste! Il voulait toujours être là! A la réception des millions de poires William, Loulou touchait les fruits, enlevait les poires pourries et avait toujours une petite remarque en me voyant faire : la poire était « trop jaune » ou « pas assez ». C’est vrai qu’il avait de la peine à nous « passer la main ». Et puis il y a aussi ces souvenirs de récoltes, où à dix heures du soir, alors qu’on n’avait pas encore terminé la journée, on voyait arriver Madame Morand avec des sandwichs, gâteaux et thermos, pour nous ravitailler.

JM: On parle trop rarement des femmes de la famille mais effectivement, toutes générations confondues, elles ont toujours joué un rôle. Un rôle dans l’ombre mais ô combien important, sortes d’ambassadrices qui aidaient à la production ou à la vente, qui allaient voir les clients, ou encore qui très souvent « arrondissaient » les angles…

GS: Et dans 20 ans? Comment imaginez-vous la distillerie?

JM: La 5ème génération sera peut-être déjà en train de passer la main vu l’évolution globale de la société. J’espère qu’on transformera toujours des produits agricoles valaisans, des plantes pour les liqueurs, les salaisons et les tisanes, des fruits pour les spiritueux, les sirops et les recettes de confiture de ma maman. On vendra peut-être moins d’alcool tout en buvant mieux. Si l’on reste aussi innovant tout en respectant la tradition et qu’on garde cette qualité et cette authenticité, je pense que ça devrait perdurer. Il sera également vital de (re)développer l’exportation. En particulier dans les alpes italiennes et françaises (et en Suisse alémanique), avec une vraie légitimité, une reconnaissance du nom, de nos marques et de la qualité des produits. Et puis, dans 20 ans on aura certainement déjà amélioré nos sirops, avec moins de sucre ou recommencé à faire de la limonade. Qui sait?

BV: Je ne suis pas un visionnaire et même si la distillation reste aux yeux des gens un peu magique, je la vois continuer dans son dynamisme, orientée dans la gastronomie et les boissons, proposant surtout de bons produits. Je souhaite qu’elle reste dans cette direction-là. Il y aura certainement aussi un passage obligé vers le naturel, le bio ; le mouvement actuel tend clairement vers du moins sucré, moins coloré etc… Si on prend les bonnes décisions au bon moment pour suivre la tendance des consommateurs, qu’on garde la proximité et les bons produits, alors il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas perdurer...

Fabrice Haenni, Directeur de la distillerie MORAND

Des études en économie et un début de carrière professionnelle dans la finance en Suisse et à l’international. Fabrice Haenni changera toutefois totalement de cap, il y a une dizaine d’années, en quittant le monde bancaire et en retrouvant son Valais natal. Il devient alors membre de la direction de Télé-Thyon, tout en passant un eMBA à l’HEC Lausanne.

De la banque à la distillerie, le parcours de ce fonceur de 41 ans pourrait paraître atypique, mais l’univers des produits du terroir ne lui était pas étranger. « Les Herbes du Grand-St-Bernard » appartenaient à ses parents. En 2015, il gère la vente et l’intégration de l’entreprise familiale, reprise par MORAND & Cie, et est nommé directeur.

« J’adore mettre des gens ensemble et créer ainsi des réseaux de collaboration. »

Fabrice Haenni  

 

Stratège de l’entreprise, en charge de la communication et de la diversification des produits. Même si la crise du Covid a ralenti quelques peu ses objectifs, un repositionnement de la marque à l’étranger reste un des principaux enjeux du futur.

Fort également d’un engagement social remarquable, qu’il souhaite faire perdurer: « Sur 55 collaborateurs, nous employons, dans des ateliers intégrés, 15 personnes en situation d’handicap. Un partenariat avec la Fovahm dont nous sommes très fiers! »

Fabrice Haenni puise sa motivation dans le travail d’équipes aux profils variés: « J’adore mettre des gens ensemble et créer ainsi des réseaux de collaboration. Contrairement à mon passé bancaire, ici je peux m’identifier à la marque et aux produits que je vends.»

 

Plus d'informations sur : www.morand.ch