Vers un exode climatique à la montagne?

Tout l'immobilier, Le Temps, article de presse Alexandre Beuchat

Le covid a renforcé l’attrait de l’immobilier alpin, mais l’offre se réduit comme peau de chagrin. Après l’effet de la pandémie, les régions d’altitude profitent-elles de l’impact du réchauffement planétaire?

Le marché immobilier suisse n’est pas préparé à un changement climatique durable. En période de canicule, les températures intérieures grimpent rapidement. Cette évolution altère la qualité du sommeil et la productivité au travail. En raison de l’îlot de chaleur, les zones urbaines sont les plus touchées. Les régions de montagne profitent-elles d’une demande accrue de la part d’une clientèle avide de fraîcheur?

Durant les dix années précédant le Covid-19, certaines régions, comme une grande partie des Grisons, du Haut-Valais et de l’Oberland bernois, ont enregistré un recul ou une très faible hausse de population. La pandémie a changé la donne, accélérant l’essor du télétravail. Les régions de montagne ont gagné en attractivité, non seulement pour les résidences secondaires, mais aussi principales.

Les baby-boomers déménagent

La croissance de la demande a été particulièrement forte dans les communes touristiques, là où les infrastructures sont les mieux développées. «Les prix continuent d’augmenter en montagne, alors qu’ils ont tendance à stagner, voire à diminuer, dans plusieurs régions en plaine», note Vincent Clapasson, directeur pour la Suisse romande du cabinet de conseil Wüest Partner.

«Nous n’avons pas de statistique prouvant stricto sensu que le réchauffement climatique joue un rôle dans l’attrait de la montagne. Il est difficile d’isoler cette variable. Il s’agit davantage d’un sentiment, relève l’expert. Par ailleurs, de nombreux baby-boomers qui arrivent à la retraite viennent rechercher des biens en altitude.» Un phénomène qui devrait se poursuivre.

Reste que nous sommes loin d’un vaste exode vers les régions de montagne. «Un changement d’emploi, de la situation familiale ou un besoin accru d’espace figurent parmi les motifs de déménagement les plus fréquents, rappelle Maciej Skoczek, économiste immobilier chez UBS. Le réchauffement climatique n’a guère joué de rôle en Suisse jusqu’à présent. Les villes restent un pôle d’attraction: moins de 20% des personnes vivant en ville et qui déménagent choisissent de s’installer à la campagne. Ce taux est resté relativement stable au cours de la dernière décennie», note l’expert.

Les communes touristiques figuraient parmi les régions à la plus forte croissance démographique en 2020 et 2021. «Cependant, la raison n’était pas le changement climatique, mais l’augmentation du home office et l’évasion que permettait la montagne», estime Maciej Skoczek. Après la levée des restrictions sanitaires, la forte hausse démographique dans ces régions s’est ralentie. En 2022, les cantons de montagne ont enregistré le deuxième taux de croissance le plus faible depuis 2007, bien en deçà de la moyenne suisse.

Par ailleurs, le réchauffement climatique pourrait avoir un double effet. Alors que la recherche de fraîcheur stimule la demande en été, «le manque de neige en hiver est susceptible d’avoir un effet plutôt négatif», relève l’économiste d’UBS, qui s’attend, d’une manière générale, à un affaiblissement des marchés immobiliers touristiques au cours des prochaines années.

Besoin de fraîcheur

L’impact du climat sur la demande est difficile à quantifier. «Les clients manifestent leur envie de se mettre au frais de temps en temps, constate Grégoire Schmidt, patron de l’agence valaisanne Schmidt Immobilier. Nous observons des prémices, mais il est encore prématuré de dire que nous sommes face à un changement de fond en raison du réchauffement. Il y a d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte comme la qualité de vie, la tranquillité ou le développement des infrastructures, afin de bénéficier des avantages des centres urbains, sans les inconvénients.»

«Des clients envisagent de vendre leur logement en Espagne ou dans le sud de la France pour prendre quelque chose en montagne», observe Louis Martin, directeur général de l’agence CF Immobilier Compagnie Foncière, active à Gstaad (BE) et dans le Pays-d’En-haut. Vivre à l’année en montagne n’est possible que pour certaines professions, fait-il remarquer. La tendance est davantage à une présence accrue des propriétaires de résidences secondaires et à l’installation de jeunes retraités.

La demande est toujours soutenue, mais les agences ont très peu de biens à vendre. Ceux-ci partent encore assez vite, malgré la remontée des taux. La forte demande de logements, combinée à l’interdiction de construire des résidences secondaires dans la plupart des communes, a entraîné une réduction croissante de l’offre. Les prix ont augmenté l’an dernier de plus de 7%, selon l’étude Alpine Property Focus d’UBS. Cependant, depuis l’automne 2022, la flambée de l’immobilier de montagne s’essouffle. Le boom a toutefois laissé des traces: les résidences secondaires sont désormais 20% plus chères qu’avant la crise du covid.

Le phénomène est accentué par la conversion des résidences principales en logements de vacances, une faille de la Lex Weber qui s’avère très lucrative. Si cette réserve de logements est loin d’être épuisée, elle réduit l’offre de résidences principales et risque de provoquer un exode démographique dans les destinations touristiques.

 

Alexandre Beuchat - Le Temps, 17 août 2023

Grégoire SCHMIDT

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